Henry Martin, de Crévoux, alors âgé de 12 ans.
« Je me souviens de la présence des travailleurs réfugiés espagnols de la 9ème CTE. En mai 39, environ 500 Espagnols, âgés de 20 à 35 ans, sont arrivés à La Chalp. Ce jour là il pleuvait. Les militaires français leur ont remis un paquetage déposé dans la chapelle et composé de vêtements (pantalon de velours, béret) et de grosses chaussures de travail. Ils étaient logés sous des marabouts installés sur le plateau de la Chalp sur des emplacements en pierres qui sont toujours visibles. L’une de ces vastes tentes leur servait de cuisine. Ils portaient tous un insigne pour qu’on les reconnaisse.
Leur travail a consisté à construire, depuis le Champ du Four jusqu’au delà du pont du Réal, la route qui devait relier la Chalp au col du Parpaillon qui avait un intérêt stratégique. Ils cassaient les pierres qu’ils charriaient avec des brouettes, puis ils les concassaient avec une martelette pour empierrer la route. Ils ont construit les murs en pierres sèches et le pont du Béal sur lequel ils ont scellé une pierre sur laquelle était écrit « Recuerdos de los Españoles ». Elle a disparu quand la barrière du pont a été refaite. Près du pont, ils avaient construit une cabane pour s’abriter et y manger, avec beaucoup d‘inscriptions sur les murs. Elle s’est dégradée et elle a été détruite. On l’appelait la cabane des Espagnols.
Ils étaient encadrés par des gardes mobiles qui les menaient un peu durement, puis par des réservistes des chasseurs alpins, qui étaient plus souples. L’armée les ravitaillait et l’un des soldats faisait office de facteur. Au début les gens du pays se méfiaient un peu d’eux mais ensuite tout allait bien. Ils étaient respectés ; tout le monde était content de leur présence. Ils étaient très travailleurs et ils savaient travailler ; on voyait que beaucoup étaient des paysans. Ils avaient construit un petit autel autour duquel ils se réunissaient, car ils étaient très croyants. Les dimanches, l’Abbé Perrin, curé de Crévoux, venait dire la messe. Il chantait avec eux et ces jours-là ils mangeaient tous ensemble avec les gardes mobiles, puis ils se promenaient et ils venaient nous parler. Ils fréquentaient un petit bar ouvert par Edmond Eyrié. On communiquait bien avec ceux. Ils ne parlaient pas français mais entre notre patois et l’espagnol, on se comprenait assez bien. Ils aidaient les gens à faucher et à ramasser les patates. Ils avaient envie de retourner chez eux, en Espagne mais ils avaient peur d’être fusillés. Ils sont restés jusqu’à l’automne. Avec la neige, les travaux n’étaient plus possibles. Et puis il y a eu la guerre et ils sont partis. »
Source : Entretien du 24 Juillet 2007, rédigé et communiqué par Mme Jacqueline Reide .
Gaston Julian, (1909-2000), comptable à Gap, qui a adhéré au PCF en 1936, est, à la veille de la guerre, secrétaire de la cellule de Gap. Il a créé et animé un Groupe de solidarité avec les républicains espagnols, puis un Groupe d’accueil des réfugiés civils. Mobilisé le 25 août 39, il est « affecté à la surveillance de la CTE de Crévoux, en remplacement de gardes mobiles très répressifs ». Il sympathise avec les travailleurs espagnols, mais il se dit « déçu car il ne rencontre parmi eux que très peu de membres ou de proches du parti communiste espagnol ». Il deviendra l’un des dirigeants des FTP du département, puis député PCF de la circonscription de Gap, de 1945 à 51, et de 1956 à 59 et conseiller municipal de Gap.
Source : Cassettes audio d’entretiens communiquées par M. Ferrero.
Intervention de M.Pierre Lefèvre sur les routes des Espagnols
« Dans le pays des Ecrins et le Briançonnais il existe quatre “routes des Espagnols”: celles de L’Argentière à Freissinières, de Prelles (Saint Martin de Queyrières) à Villard Saint Pancrace, de Monêtier les Bains et de Pelvoux, qui devaient se joindre au col de L’Eychauda. Elles furent aménagées par des CTE sous contrôle de l’armée, puis des GTE sous contrôle du ministère de l’Emploi après juin 1940. La “route des Espagnols” de Pelvoux, aujourd’hui appelée route de L’Eychauda, a été ouverte en mai 1939 alors que le décret de création des CTE date d’avril 1939. A Pelvoux, la transformation d’un sentier muletier en route de 6 km de long ne peut pas avoir été réalisée en 1 mois alors que les 1.200/1.500 travailleurs étaient équipés d’une pioche, d’une pelle et d’un panier ! Des travailleurs espagnols étaient à l’œuvre bien avant, en 1937-38 à Monêtier-les-Bains et à la RTM (service de Restauration des terrains en montagne) intéressée par l’accès aux massifs dangereux, qui évoque leur présence à Pelvoux et Monêtier en 1937. La route ouverte de Prelles au Villard Saint Pancrace et Briançon, qui est aussi très longue (le chantier a comporté le percement d’un tunnel), est visible sur des photos aériennes de l’IGN en 1939.
Les contacts entre la population et les camps des travailleurs étaient réglementés. Les jeunes filles avaient l’interdiction d’approcher des camps, mais on montait en famille rendre visite aux exilés. Des bals avaient lieu le samedi soir dans une grange du Sarret à Pelvoux avec un accordéoniste montant de Vallouise. Il y avait très peu de femmes pour beaucoup d’hommes et parfois quelques bagarres. On se souvient que l’un de ces refugiés, un certain Mateo, refusa de partir avec la 6ème CTE et resta au Poët de Pelvoux jusqu’en 1945. Un autre exilé, qui avait rejoint le maquis de Béassac à Vallouise, fut tué à Prelles en 1944. Dans la population, le souhait reste vivant de rendre hommage aux exilés qui, dans des conditions très difficiles, ont apporté une contribution essentielle pour la vallée de la Vallouise ».
Source : Intervention de M.Pierre Lefèvre , Journée de Montmaur.
Les souvenirs des travailleurs espagnols de la 6ème C TE à La Roche de Rame.
A Pra-Reboul, « Les réfugiés logeaient chez l’habitant et dans des baraquements situés dans les champs situés entre la route nationale et l’ancienne route. Certains avaient construit des cabanes au cœur même du hameau, près de la fontaine. Il semble qu’il n’y ait pas eu de femmes et d’enfants réfugiés à Pra-Reboul. Deux popotes étaient installées dans le hameau : une pour les Espagnols et une pour les militaires originaires du Champsaur qui les surveillaient, dont l’un était sergent et l’autre caporal ».
A La Roche-de-Rame « Certains réfugiés logeaient chez l’habitant en particulier au hameau de La Fare, d’autres dans des tentes ʺmaraboutʺ au lieu-dit Eslauch où les vestiges d’une popote sont encore visibles. Au bout de quelques mois les épouses sont reparties en Espagne et seuls les hommes sont restés. L’un d’eux était tailleur et des gens de la commune ont fait appel à ses services. Ils étaient encadrés par des militaires ».
A Saint Crépin, « Les réfugiés étaient une dizaine. Ils habitaient dans la vieille école ou au Serre. Les femmes allaient à l’épicerie mais n’ayant pas d’argent elles disaient ʺFront populaireʺ pour que l’épicier se fasse payer par le gouvernement. Sur le chantier de la nouvelle route, à Barachin, les ouvriers espagnols utilisaient des wagonnets. A Chanteloube ils avaient une cantine, le cantinier élevait des cochons »
A Réotier, « Les réfugiés avaient planté des tentes marabout pour se loger mais des intempéries importantes ont emporté ces tentes, envahies par la boue. Le maire a donc été conduit à réquisitionner des maisons du village pour les reloger : au Mensol Haute, au Mensol Basse, aux Jourdans et au Moulinet. Au Mensol un ancien bar servait de logement aux gardes mobiles chargés de surveiller les réfugiés. Des baraquements étaient aussi installés au hameau de Gandelli »
A St Martin de Queyrières, « Les réfugiés, au nombre de 500 environ, ont travaillé de 1939 à 1943 environ sous le contrôle de l’armée. Leur cantonnement (baraquement, popote et sanitaires) était situé dans le champ de Mimi Daurel. Ils ont travaillé au percement du tunnel de Prelles et à la route vers le Grand Villard. Avant cette route il n’existait pas de chemin, seulement des prés et des bois »
Sources Recueillis par l’association Les Passeurs de mémoire, de La Roche de Rame, Cahier N°5, 2017